L’expert en climat pense qu’avec un peu plus de volonté politique, le Cameroun peut mettre en œuvre des actions qui favorisent une véritable résilience.
Par Adrienne Engono Moussang
Le Cameroun sera à Glasgow, après Paris, la Contribution Déterminée au niveau national a été révisée. Qu’en dites-vous ?
Pour sortir la Contribution Déterminée Nationale (CDN), il faut consulter tous les secteurs d’activité. Si généralement en Afrique, bien qu’aucune étude ne l’ait démontré, l’on dit que l’agriculture itinérante sur brûlis est le plus grand moteur de déforestation, il est important de se pencher dessus pour proposer des solutions pour des bonnes pratiques agricoles. C’est vrai que la somme totale des CDN ne va pas résoudre le problème du réchauffement climatique ; le dernier rapport du Fonds Mondial pour l’Environnement est alarmant. Pour le cas du Cameroun, la CDN présentée en 2015 ne cadrait pas avec la vision du pays émergent en 2035.Il y avait beaucoup de choses à revoir. Mais si l’on n’a pas procédé aux consultations des différents acteurs, c’est peine perdu.
Est-ce donc à dire que les objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES) que le pays s’est fixés ne seront pas atteints ?
C’est difficile de le dire ou de ne pas le dire. Mais sachons qu’il y a des choses que nous avons ratées. Si l’on prend les domaines comme les mines, l’agriculture, etc. qui appellent à l’utilisation des terres, en Afrique, en général et dans le Bassin du Congo, en particulier, la Réduction des émissions de gaz dues à la déforestation et à la dégradation des forêts (REDD+) avait été mise en place. Et le Cameroun, avec ses ressources, ses compétences et sa loi forestière de 2014, qualifiée de meilleure même par la Banque Mondiale, avait une opportunité pour mettre en place une vraie stratégie de réduction des émissions.
A votre avis pourquoi cela n’a pas été fait ?
Ce qui pose problème c’est la mauvaise gouvernance. Vous avez des gens qui ne travaillent pas pour la patrie mais pour leurs intérêts. On ne peut pas dire qu’il n’y a pas de personnes capables de travailler étant donné que ceux qui aident des pays comme la Côte d’Ivoire, la Guinée, le République Démocratique du Congo et autres, à recevoir des financements, sont des Camerounais. Je suis allé accompagner la Côte d’Ivoire, elle a déjà reçu des millions de dollars du Fonds d’investissement climat, elle qui a commencé son processus en 2013. Le Cameroun qui lançait le sien en 2008 n’a pas obtenu des financements du Fonds vert alors que le Rwanda en reçoit presque chaque année.
Le chef de l’Etat Paul Biya, du haut de la tribune des Nations Unies, a affiché les ambitions de son pays. Elles étaient louables. Il a annoncé la création de l’Observatoire National sur les Changements Climatiques (ONACC). Malheureusement, cette structure est presqu’un éléphant blanc qui ne se contente que de relayer les prévisions météorologiques du Ministère des Transports qui sont même parfois inexactes.
Parlant de l’ONACC, il souffre d’un manque de financements…
Le Cameroun est l’Afrique en miniature, c’est-à-dire qu’il peut jouer un rôle déterminant dans la réduction des impacts des changements climatiques comme il peut subir violemment ces impacts. Si le chef de l’Etat avait annoncé la création de l’ONACC aux Nations Unies, il faut pouvoir faire fonctionner normalement cette structure à travers la recherche des financements. Il y a des fonds disponibles, c’est aux dirigeants de cette entité de monter des projets pour décrocher ces moyens financiers.
Dans sa CDN, le Cameroun s’était engagé à réduire ses émissions de GES avec un pourcentage conditionné. Ceci ne peut-il pas expliquer que l’on attende des financements des pays pollueurs ?
En matière de pollution, la loi dit que celui qui pollue paie, c’est vrai. Mais si vous n’investissez pas, si vous ne montrez pas votre volonté à investir, comment pouvez-vous attendre qu’on vous octroie des financements ? Plusieurs pays, dont le Rwanda, ont aussi conditionné la réduction de leurs émissions par des financements des autres. Pourtant ils investissent pour attirer de nouveaux financements. Vous ne pouvez pas attendre de l’argent sans montrer ce pourquoi on vous le donne.
Le Cameroun pourra peut-être bénéficier d’un financement grâce à l’Union Internationale pour la Conservation de la Nature (UICN). Ce n’est pas à ce niveau qu’on devait se retrouver. Il y a des opportunités ; vous avez le Mécanisme de développement Propre (MDP) dont n’a bénéficié qu’Hysacam ; alors que d’autres pays ont bénéficié des fonds avec des projets qu’ils ont bien ficelés. Il faut la volonté politique, la transparence, l’amour du pays. Les changements climatiques sont une opportunité de développement. En RDC aujourd’hui, il y a une loi spécifique sur les Peuples autochtones (PA). La société civile est organisée et consultée.
Parmi les secteurs les plus affectés, se trouve l’agriculture. Comment s’organiser dans un pays où la forte proportion de la population est agricole ?
Les changements climatiques affectent vraiment les paysans qui se retrouvent seuls et ne savent pas quoi faire. Il faut développer des stratégies pour les accompagner. Les chefs de poste agricole doivent être déployés pour les accompagner dans la production des spéculations qui s’adaptent aux différentes saisons, c’est ça la résilience. On a dit qu’il y a 100 milliards de dollars chaque année pour le Fonds vert, pourquoi se plaint-on qu’on ne reçoit pas les financements ?
Vous êtes souvent proches des Peuples autochtones, comment vivent-ils les changements climatiques ?
Les Populations autochtones sont déboussolées. Il y a des fruits qui ne mûrissent pas bien. Certains produits forestiers non ligneux disparaissent pendant des saisons. La situation renforce leur vulnérabilité ils se rabattent chez les Bantous pour des petites tâches mais les Bantous aussi sont frappés par les impacts négatifs de ces changements climatiques. Difficile d’envoyer les enfants à l’école ou d’assurer leur alimentation. Ici, je pense qu’il faut des études pour en savoir plus et proposer des solutions.
Est-ce vrai, comme le pensent d’aucuns, qu’il y a un problème de manque de synergie dans les actions ?
Ceux-là ont raison. On a de cas où pendant que le Ministre de l’Environnement de la Protection de la Nature et du Développement Durable optait pour la conservation, celui des Forêts et de la Faune proposait que l’on crée des Unités forestières d’aménagement (UFA). On se rend compte que chacun veut sa part pour assurer sa retraite, d’où l’alimentation de ce type de conflits par des employés des différentes administrations. Les propositions de la CDN n’étaient pas cohérentes. Le Cameroun avait élaboré un plan de production d’huile de palme ; avant sa mise en œuvre, on a commencé à octroyer des parcelles de 60.000 hectares à des individus pour cette culture. On a pensé à un plan d’aménagement des terres, sans avancer, on veut céder des concessions à Ebo, dans la Vallée du Ntem, etc. Nous sommes partie-prenante de nombreuses conventions ratifiées, avec une diversité biologique et culturelle, comme celle des Bamileke qui sont des atouts. Mes étudiants du CRESA ont réalisé une étude qui a révélé que les impacts carbones sur le barrage de Nachtigal ont été sous-estimés. Pour le lancement des travaux de construction de cet ouvrage, ils se sont servi des études d’impact vieilles de 30 ans.
Pourquoi la composante climat doit-elle occuper une place de choix dans les politiques aujourd’hui ? Des analyses ont montré qu’il y aura des guerres climatiques. Ceci signifie que si la température augmente, les populations du Nord qui ne pourront plus supporter la chaleur vont se déplacer vers le Sud. Comment vont-elles s’installer dans le Sud quand ceux qui y vivent sont déjà à l’étroit ? Il faut combattre tout ce qui peut aider au réchauffement climatique comme l’exploitation illégale des forêts derrière laquelle s’engraissent les agents des ministères. Il faut être à mesure d’évaluer le niveau de l’exploitation, les aires protégées. Aucune commune au Cameroun ne s’est développée avec la redevance forestière. C’est un argent qui entre dans la poche du maire seul. On a pris l’engagement de restaurer 12 millions d’hectares de terre. Le Cameroun doit être un cas d’école pour le reste du continent et même du monde. Les choses vont s’aggraver avec les pandémies. Si rien n’est fait, comment nos agriculteurs recevront-ils les semences avec les frontières fermées puisqu’à cause du capitalisme, les semences de grand-mère ont disparu ? J’ai envoyé une lettre à Hong Kong qui m’a été renvoyée à cause du Covid-19. Il faut vraiment prendre des mesures qui s’imposent pour une vraie résilience climatique.