Recherche et Innovation :: Protéger les safoutiers afin de protéger leur diversité et leur avenir

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Par Jérôme Duminil et Stéphanie Carrière

Le safoutier, espèce exotique ou espèce indigène ?

Au contraire des manguiers, des papayers ou des avocatiers, les pruniers sont natifs d’ici : les pruniers sont des arbres africains dont les ancêtres peuvent être retrouvés dans les forêts tropicales humides d’Afrique Centrale. Les prunes, aujourd’hui très appréciées localement, devaient aussi être appréciées par les ancêtres, qui les ont empruntés à la forêt pour venir les planter dans les agro-forêts, dans les jardins de cases, des campagnes jusque dans les villes.

Le projet Arbopolis, de quoi s’agit-il ?

En Afrique Centrale, tout le monde connait les pruniers. Quand vient la saison des prunes, la joie s’inscrit sur les visages des petits… et des plus grands. Paradoxalement, l’espèce n’est pas si bien connue scientifiquement. Le projet Arbopolis avait pour but de mieux connaitre cet arbre emblématique : Quelle est sa diversité et comment est-elle perçue, identifiée, nommée et classée par les populations locales ? Quels sont les fruits qui sont préférés et pourquoi ? Quelles sont les attentes des consommateurs ? Comment les agriculteurs gèrent-ils les arbres et la diversité de fruits ? Est-ce que leurs pratiques de gestion menacent le devenir de l’espèce ? Quelle est l’importance nutritionnelle de l’espèce ? Voilà autant de questions qui ont été abordées par le projet. Les informations acquises permettront de contribuer à gérer durablement le prunier afin de pouvoir bénéficier pour longtemps encore de ses fruits.

D’où viennent les pruniers plantés à Yaoundé ?

L’équipe a mené de nombreuses enquêtes, dans les marchés, dans les rues de la capitale. Elle a ainsi interrogé des vendeurs de prunes et des propriétaires d’arbres à Yaoundé pour comprendre l’origine des pruniers en ville. Leur résultat est sans appel, un prunier qui grandit à Yaoundé n’y est que très rarement né : Environ neuf pruniers sur dix sont en fait né en dehors de la ville !

Mais comment sont-ils arrivés en ville ?

Les chercheurs à travers leurs enquêtes ont pu démontrer que les pruniers ont été plantés à partir des « prunes voyageuses » qui débarquent en ville soit à travers les réseaux commerciaux, soit dans les poches des citadins qui sont rentrés du village et en ont rapporté le fruit. Yaoundé accueille donc des prunes qui viennent de tout le Cameroun !

Quel intérêt a-t-on d’étudier la relation entre la dynamique des voyages effectués par les prunes et la diversité génétique de l’espèce ?

La diversité génétique d’une espèce est son bien le plus précieux. C’est grâce à cette diversité que l’espèce va pouvoir s’adapter aux changements du climat, à l’arrivée de nouvelles maladies, et qu’elle va pouvoir continuer à nous offrir ses fruits. Les chercheurs, en essayant de comprendre la relation entre la dynamique des voyages effectués par les prunes et la dynamique de la diversité génétique de l’espèce, veulent savoir si l’espèce est menacée par les pratiques humaines. Les chercheurs ont ainsi comparé la diversité génétique de nos arbres en ville avec par exemple l’une des zones de production principale en prunes qui alimente Yaoundé, la région de l’Ouest. En effectuant cette comparaison les chercheurs ont pu démontrer que les arbres plantés dans un quartier de Yaoundé (ils ont étudiés les arbres d’Oyom-Abang) contiennent autant de diversité génétique que les arbres de la région de l’Ouest ! Nos pruniers en ville sont donc a priori suffisamment riches en diversité pour pouvoir s’adapter et survivre aux changements à venir. Les habitants de Yaoundé, inconsciemment, participent donc à une gestion durable des pruniers qu’ils plantent dans leur ville.

Faut-il donc minorer le danger de l’urbanisation ?

 Malheureusement non, car ces pruniers sont de plus en plus menacés par l’urbanisation, et face au béton la diversité génétique est bien désarmée… Il faut protéger nos arbres afin de protéger leur diversité et leur avenir.

Et les populations ainsi que les pouvoirs publics sont-ils au courant des résultats de votre recherche ?

Parallèlement aux activités de recherche, le projet a développé un volet sensibilisation du grand public. En partenariat avec des établissements scolaires, nous avons développé des activités de culture scientifique pour le secondaire (Lycée de Zamengoé) et pour le primaire (Ecole privée Les Marguerites à Oyom-Abang, Yaoundé, et Ecole Saint-Jean Baptiste de la Salle à Eséka).

A cet effet, au cours de l’année 2019-2020, les étudiants Quentin Raynaud (Université Paul-Valéry Montpellier III) et Armel Chahoka (Université de Dschang) ont accompagné les élèves à travers divers ateliers afin de produire deux films d’animation sur les enjeux de la diversité du safoutier. Apporter des connaissances, concevoir les scénarios, dessiner les décors et les personnages et enregistrer les éléments audio les ont amenés à concevoir deux petits films d’animation en stop motion (visualisables sur youtube, voir ci-dessous).

Pour ce  qui est de la restitution proprement dite, nous sommes en concertation avec certaines mairies de Yaoundé en vue du partage de nos résultats auprès des populations.

Pour aller plus loin :

« Le safoutier, prune des villes, prune des champs, pour une agriculture d’avenir », documentaire visionnable gratuitement sur youtube : https://youtu.be/ki9Tb13uzOc

« L’importance de la diversité des prunes », film d’animation visionnable gratuitement sur youtube : https://www.youtube.com/watch?v=Fwe7PXk0BnQ

« À la découverte du prunier », film d’animation visionnable gratuitement sur youtube : https://www.youtube.com/watch?v=qMvIm2KbKgI&list=PL5g1L2-mjc3T0M7J_wrV4QhIAY4FySGtd&index=1  “Trees and their seed networks: The social dynamics of urban fruit trees and implications for genetic diversity”. Article publié dans le journal PLOS ONE. Accès gratuit.