Entre perte de terres et destruction des sites sacrés, elles ne savent plus à quel saint se vouer. Ce qui constitue, pour elles, un motif d’inquiétude.
KENFACK T.
« Depuis 1987 que nous avons cédé nos terres à la Safacam, elle ne nous a jamais fait don même d’une borne-fontaine. L’agro-industrie veut pousser les gens de mon village au suicide parce qu’on n’est même pas considérés comme leurs riverains. Pourtant, nos plantations sont sur leurs terres ». Le ton de Raymond Priso, notable à la chefferie de 3e degré du village Nsèppè Elong Ngango, département de la Sanaga-maritime, région du Littoral, est à la dimension de son indignation. Ce dernier dénonce les marginalisations dont font l’objet les communautés riveraines. Lesquelles communautés, ajoute-il, n’ont plus d’espace vital pour cultiver, encore moins les lieux de culte pour accomplir leurs rites sacrés. Il déplore le fait que la Société africaine forestière et agricole du Cameroun (Safacam) est en train de faire des manœuvres pour obtenir 11 536,6 hectares. Une superficie qu’elle veut ajouter aux 958 ha pour lesquels elle a obtenu une certification RSPO (Table ronde pour la production de l’huile de palme durable) pour pratiques de durabilité. « A cette allure, on sera étranger sur nos propres terres », fulmine-t-il.

Dans le village Dikola, arrondissement de Dizangué, la situation est presqu’identique. Les riverains disent être dépossédés de leurs terres qui sont pourtant leur seul moyen de subsistance. Selon Cathérine Bakamba, représentante des femmes de la communauté Dikola, la Safacam occuperait des espaces au-delà du titre foncier de sa concession. Elle cite par exemple le camp 7 occupé par l’agro-industrie qui a été utilisé pour construire les logements. Les situations comme celles-là sont légion dans la plupart des agro-industries du pays à en croire Emmanuel Elong, président national de la Synergie nationale des paysans et riverains du Cameroun (Synaparcam).
Pire, les communautés ne sont pas associées aux projets de développement engagés à leur endroit. La preuve, la Synaparcam a contesté le certificat RSPO (Table ronde sur l’huile de palme durable en français; Ndlr) délivré à la Société africaine forestière et agricole du Cameroun (SAFACAM) le 30 décembre 2020. L’un des motifs : le non-respect du Consentement libre, informé et préalable (CLIP). Dans une étude réalisée en 2009 par l’Institut international pour l’Environnement et le Développement (IIED) basé à Londres pour le compte de la FAO, l’organisation a relevé que les transactions sur la terre peuvent autant créer des opportunités que causer des dommages si les populations locales sont exclues des décisions et si leurs droits fonciers ne sont pas protégés.

Lors d’une réunion de l’Alliance informelle des riverains des plantations de palmier à huile et d’hévéa tenue le 15 octobre dernier à Edéa, il ajoutait que les zones à haute valeur de conservation où les riverains sont censés réaliser leurs rites traditionnels ont été détruites, quand ce sont les palmiers qui sont plantés à quelques mètres des concessions. « L’Etat du Cameroun a pourtant tenu compte de cette question en signant le bail avec l’agro-industrie. L’article 6H dit de ne pas replanter dans un rayon de 250 hectares tout autour des communautés », déclare-t-il. Nos tentatives de joindre les responsables de la Safacam ont été vaines. Toutefois, les recherches menées sur les plateformes web de l’entreprise indiquent qu’elle s’évertue à promouvoir une collaboration avec les villages riverains, à travers un don de médicaments offert le 15 septembre dernier à la communauté de Koungué Somsé. La Safacam fait également savoir qu’elle a identifié des zones tampons autour des cours d’eau permanents, qui sont à haute valeur de conservation et bénéficient d’un encadrement particulier.