Menstrues : entre tabous et préjugés

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    Menstrues : entre tabous et préjugés

    Perdues dans cet univers, des jeunes filles sont livrées au décrochage scolaire aux violences basées sur le genre, aux grossesses non-désirées et aux avortements clandestins; une éducation de base sur la santé de reproduction est indispensable.

    Par Adrienne Engono Moussang avec l’appui de Sisterspeak237

    Les noms attribués aux menstrues dénotent des tabous et préjugés qui l’entourent. Règles, lune, vin rouge… Dans certaines sociétés, une femme en période de menstruations doit se mettre en retrait de tout ce qui peut concourir au bonheur ou à la bénédiction. « Lorsqu’on fait des rites traditionnels, les femmes en période de menstrues, tous ceux et celles ayant eu des rapports sexuels quelques heures avant ne doivent pas y prendre part parce que le traitement n’aura aucun effet sur eux. Et même, ils peuvent réduire son efficacité », appuie un notable. « Selon les règles musulmanes, lorsque la femme est en règles, on considère qu’elle est impure et donc, elle n’a pas le droit de prier, encore moins de toucher au coran », explique l’imam Abdallah Atangana, de la mosquée centrale de Yaoundé. La jeune Aïssatou Malika, étudiante à Yaoundé, se souvient de ses premières « règles » : « C’était en période de jeûne. Lorsque j’ai dit à ma mère que du sang coulait dans mon sous-vêtement, elle m’a donné de quoi me protéger, puis m’a interdit de faire repas et la prière jusqu’à la fin. J’ai donc été affectée, toute seule, aux autres tâches de la famille ».

    une fille en période de menstruation (photo d’archives)

    Or, « Les menstrues ou règles par définition sont un processus physiologique normal et périodique (une fois le mois), caractérisé chez la jeune fille en période pubère par un écoulement de sang par voie vaginale. On parle alors de menarche (première manifestation de règles) chez la fille à partir de 12 à 13 ans », explique Dr Grégoire Atangana Mekongo, gynécologue.

    Les menstrues sont considérées comme un « haram »

     « Une mauvaise gestion des menstrues impacte déjà sur le moral de la jeune fille, et très souvent même sur ses études”, soutient le Pr Déli Tizé Téri, enseignant d’anthropologie à l’Université de Yaoundé I. pour ce dernier qui croit qu’il faut renforcer l’éducation au niveau de la base dans les familles: ”Déjà, le fait de dire règles est un abus linguistique. Les menstrues sont un phénomène naturel, malheureusement qui a un ensemble de construits sociologiques et culturels. Ceux-ci sont utilisés à tort ou à raison. C’est Dieu qui en a fait un élément constitutif de l’organisme féminin. Les menstrues sont un renouvellement de l’organe qui donne la vie et sont vues selon les sociétés. Dans certaines religions, comme chez les musulmans, les hommes ont un regard très négatif des règles. Les menstrues sont considérées comme un « haram ». La femme qui a ses règles est impure. Lorsque la femme saigne, l’homme musulman ne peut pas aller vers elle, encore moins toucher à son repas, car cela porte malchance. Je le dis encore, il s’agit d’un construit. »

    Une conception qui n’échappe pas aux jeunes garçons qui se moquent souvent de leurs camarades filles. Lina Manga, alors lycéenne à l’époque des prémières mentrues en a fait les frais. « C’était en classe de cinquième. J’ai ressenti des bourdonnements dans le ventre me donnant l’envie de me mettre à l’aise. Quand je me suis levée, mon camarade de banc a d’abord crié. Sans prêter attention, j’ai continué d’avancer ; derrière moi des railleries sont accentuées. Une camarade, qui s’y connaissait certainement, m’a suivie dehors avec son pull-over car une tache rouge s’était formée sur ma jupe. Jusqu’en fin d’année, je n’avais plus eu le courage de retourner en classe », indique-t-elle. Les chiffres officiels ne sont pas disponibles, cependant, parmi les raisons du décrochage scolaire des adolescentes, la gestion non-maîtrisée des menstrues est de plus en plus citée. Un rapport de l’Organisation des Nations Unies pour l’Education la Science et la Culture (UNESCO) indique qu’une fille sur dix ne va pas à l’école pendant son cycle menstruel, en Afrique subsaharienne, soit environ, 20 % du temps scolaire perdu sur une année. Quatre des Objectifs du développement durable (ODD) sont dédiés à la gestion de l’hygiène menstruelle :  l’ODD 4, éducation de qualité, le 5, égalité entre les sexes et e 6 qui porte sur l’eau propre et l’assainissement.

    Bien que regrettable, l’histoire de Lina Manga est moins douloureuse celle de cette adolescentes, abusée par son oncle alors qu’elle avait environ 12 ans. « Mon oncle qui prenait soin de nous lors des multiples absences de nos parents, a été le premier à remarquer que j’avais mes règles. Il m’a bernée en me disant que si je n’avais pas de rapports sexuels pendant cette période, je risquerais d’être stérile. Et c’est là qu’il a abusé de moi pour la première fois », explique celle qui est dans sa seizième année de vie.

    La femme qui n’a pas toujours la bonne approche que celle reçue de sa propre mère  

    Parler de sexe demeure un problème dans les familles au Cameroun. Souvent dans les ménages, l’homme laisse la responsabilité à la femme qui n’a pas toujours la bonne approche que celle reçue de sa propre mère, en l’absence de la télévision et des réseaux sociaux, il y a des décennies. « J’ai trois filles. Dès que chacune d’elles a eu ses règles, je redis la même chose : éviter de se rapprocher des hommes car elles pourraient tomber enceintes et gâcher leurs vies », explique Martine Nana. Corine Bitel quant à elle apprend à sa fille des « qualités » d’une bonne femme: « Je lui ai dit qu’elle devrait désormais se soucier de son hygiène corporelle, se comporter comme une femme, sans excès ».

    Mais, il se trouve qu’à cause de cet encadrement à la légère, des adolescentes se retrouvent enceintes et s’exposent au pire à cause des avortements clandestins dont d’autres complications à la longue sont les difficultés à procréer. Selon l’Enquête démographique de santé de 2018, le taux de mortalité maternelle 406 décès pour 100.000 naissances vivantes.  Près de 30% de ces décès sont attribués à l ’avortement clandestin

    Pr Déli Tizé Téri, enseignant d’anthropologie à l’Université de Yaoundé I

    « C’est vrai qu’on a déjà dans les programmes scolaires un cours de base sur l’éducation à la santé de reproduction. Mais pourquoi ne pas commencer encore plus bas, du genre à la Sil? Parler aux enfants de l’évolution de leurs corps, pour qu’ils se connaissent et ne soient pas surpris le moment venu. Pour les personnes qui ne vont pas à l’école, miser sur le digital avec les réseaux sociaux et les médias », signe le Pr Déli Tizé Téri. Une éducation qui doit être dispensée aux filles et aux garçons, selon l’approche « He For She », (« lui pour elle ») est une campagne pour l’égalité des sexes initiée par ONU Femmes en vue de faire participer les hommes et les garçons dans la lutte contre les inégalités vécues par des femmes.

    Dr Grégoire Atangana Mekongo

    Plusieurs parents délaissent leurs enfants

    Gynécologue, il prodigue quelques conseils pour une meilleure hygiène menstruelle.

    Qu’est-ce qui conduit aux menstrues chez la fille et la femme?

    Leur survenue est commandée par un système hormonal (production d’hormones) oestroprogestatives : hormone folliculostimuline et hormone lutheinisante. Au cours de chaque cycle menstruel, les ovaires produisent des ovules libérés dans la cavité utérine sous forme de corps jaune en l’absence de fécondation (rencontre entre le gamète mâle ou spermatozoïde et le gamète femelle ou ovule). Ce qui entraîne une chute du taux d’hormones et par conséquent la femme a ses règles.

    Par contre, s’il y a fécondation au cours de l’acte sexuel, on parle d’un retard ou d’une aménorrhée (absence de règles), signes d’une grossesse probable. Il existe des aménorrhées sur gravidiques et des aménorrhées non gravidiques. Ce qui nous amène à parler de règles douloureuses.

    Dr Grégoire Atangana Mekongo

    Parlant des règles douloureuses, quel peut en être l’origine ?

    Les douleurs provenant des règles peuvent être passagères, très peu significatives et ne durent que quelques jours. Il y a une contraction de certains muscles, ce qui entraîne des douleurs fortes ou moyennes à la survenue de ses menstruations qui, généralement durent trois, quatre ou cinq jours selon le cycle. Par contre une persistance des douleurs peut être un signe pathologique non négligeable (présence d’un kyste ovarien gauche ou droit voire bilatérale, d’un myome, d’un fibrome ou d’un polype ) dans la cavité utérine et parfois signe d’une infection ou une MST mal soignée.

     Les signes précurseurs de dysménorrhées (règles douloureuses) accentuées par une fièvre ou d’autres symptômes a savoir saigner deux ou trois fois en un mois ou saigner plus de sept jours, devraient faire l’objet d’une consultation gynécologique afin de déceler la cause immédiate par des examens appropriés.

    Que peut-on faire pour une meilleure hygiène menstruelle ?

    Il est donc conseillé de promouvoir et d’éduquer la jeune fille sur les menarches (premières apparitions des règles), sur l’hygiène qui est parfois négligée par ces dernières (utilisations de méthodes traditionnelles pouvant exposer à des risques infectieux graves (salpingites, obstruction tubaires ou trompes bouchées, pyosalpinx, etc.). La jeune fille en période pubère ou en activité sexuelle doit pouvoir se faire un bilan de santé qui sera prescrit par le médecin, voire une échographie pelvienne endo-vaginale qui permettra de prévenir les risques d’une pathologie grave (endométriose, cancers utérins, utérus polymyomateux , risques d’infertilité et problèmes infectieux ).

    Toutefois, il est à souligner que dans nos mœurs et coutumes, plusieurs parents délaissent leurs enfants et considèrent ce sujet comme tabou conséquence railleries et moqueries affectent le bien être psychologique de ces dernières dans leurs établissements scolaires.

    Une consultation gynécologique tous les trois mois serait un atout et un avantage non négligeable.