Elles sont régulièrement prises en charge en familles et dans les formations hospitalières.
Par Moussang
Dame Mbarga est visiblement très fatiguée le 8 janvier 2022 au sortir de la messe du matin. La quinquagénaire passe des nuits blanches depuis plus de dix jours. « Ma sœur cadette, victime de troubles mentaux, est arrivée chez moi après avoir quitté la maison familiale dans la Lékié. Elle est venue à pied. Elle n’accepte ni de se laver ni de s’habiller. Et toute la nuit, elle parle sans arrêt », explique-t-elle.
Cette situation est celle que vivent de nombreuses familles des personnes souffrant des maladies mentales au Cameroun au point où beaucoup de ces ménages, lâchant prise, abandonnent les leurs qui sont obligés d’errer dans la rue. « Il se trouve même que des proches des patients, parce qu’ils ont honte du malade, avec la complicité des transporteurs, les font embarquer de villages pour les grandes agglomérations. Parfois, l’on trouve des gens qui ignorent où ils se trouvent », révèle un soignant.
A Yaoundé, l’arrivée de Luc Messi Atangana comme maire de la ville augure une ère nouvelle pour les personnes atteintes de maladies mentales et errantes (PAMMEs). En collaboration avec le Ministère de la Santé Publique (MINSANTE), un dispositif a été mis sur pied pour cette cause à l’Hôpital Jamot de Yaoundé. Des salles d’hospitalisation équipées ont été aménagées.
Grâce à ce projet qui a vu le jour il y a environ un an, plus de 100 patients sont sortis du froid et des autres intempéries de la rue. Une équipe multidisciplinaire composée de psychologues, psychiatres, infirmiers, etc. prend soin d’eux. La spécificité de ce projet est que la prise en charge est également assurée par des familles formées dans ce but. C’est ainsi que sur 3292 familles touchées, 199 ont accepté la prise en charge de leurs proches malades. « L’attention, l’écoute et la communication sont les maîtres-mots pour dompter les maladies mentales. Les familles doivent se prêter à cette règle », explique un membre de l’équipe du projet. Le 1510 est le numéro vert mis à la disposition de tous ceux qui ont besoin de renseignement sur ce programme.
Les chiffres du MINSANTE révèlent que l’exclusion sociale, renforcée ces temps par la pandémie à coronavirus, cause 23,64% des pathologies mentales les plus récurrentes au Cameroun derrière les dépressions (36,36%), et devant les schizophrénies (21,82%) et les toxicomanies (18,18%).
Interview

Justine Laure Menguene, chef du projet
« En cette période de COVID-19, on doit être solidaire »
Médecin psychiatre, sous-directeur de la santé mentale au Ministère de la Santé Publique, elle explique aussi le bien-fondé de la campagne de récupération des malades mentaux dans la rue en collaboration avec la Communauté Urbaine de Yaoundé.
Par Moussang
Comment se déclinent les problèmes de santé mentale au Cameroun ?
Quand on parle des problèmes de santé mentale, l’on entend souvent des gens dire « tout le monde est malade ». Ce n’est pourtant pas de cela qu’il s’agit. Les problèmes de santé mentale se situent à deux niveaux.
Le premier niveau c’est le mal-être. Quand vous perdez un être cher, vous ne pouvez pas déterminer où ça fait mal. C’est ça le mal-être ; c’est un problème de santé mentale. Il y a la peur de contracter le COVID-19, le problème de stigmatisation, de marginalisation. Les problèmes affectifs, les problèmes d’ordre professionnel qui vous donnent le dégoût de vous rendre à votre lieu de travail. Si ce mal être n’est pas bien géré, on tombe dans la maladie mentale. Il peut y avoir la dépression.
Quels sont les obstacles de la prise en charge ?
Il faut mettre l’accent sur la prévention. Malheureusement, lorsqu’on évoque la prise en charge, on voit plus l’aspect curatif, en termes de structures hospitalières. Nous voulons attirer l’attention sur la prévention parce que prévenir vaut mieux que guérir. Il n’y a pas de santé sans santé mentale. Nous reconnaissons les efforts qui sont fournis par les autorités mais il reste ce problème de financement de la santé mentale par rapport à la santé physique qui reste réel alors que la santé mentale est au centre de la santé en un mot. Il y a de plus en plus le problème de consommation de stupéfiants chez les jeunes. Il est important de sensibiliser la société tout entière sur la nécessité de l’amour à tous les niveaux. Mettons simplement dans nos foyers, dans nos lieux de travail, l’amour et la bonne communication.
Dans les foyers, il y a les parents et les enfants : qui doit donner l’amour à l’autre ?
Tout dépend de l’âge. L’enfant qui n’est pas encore à l’école par exemple, dépend entièrement des parents. Une fois qu’il va à l’école, c’est l’environnement entier qui doit l’entourer de cet amour. En cette période de COVID-19, on doit être solidaire. On nous parle de distanciation sociale. Moi, je dis que la distanciation doit être plutôt physique.
A quoi se résume la prise en charge hospitalière proprement dite ?
La prise en charge des malades mentaux se fait dans des formations sanitaires. Ces hôpitaux ont connu un taux de fréquentation réduit à cause du COVID-19. Mais, les patients y reviennent depuis un certain temps.
Pouvez-vous dire un mot sur la campagne de prise en charge que vous avez initiée avec l’appui de la Communauté Urbaine de Yaoundé? La campagne que nous avons initiée en 2021 avait pour but de mettre de l’ordre dans le suivi des personnes souffrant de maladies mentales. Leur place n’est pas dans la rue. Elles doivent être soit dans une formation hospitalière, soit en famille. La première étape de la campagne a consisté à sensibiliser les populations des sept arrondissements du département du Mfoundi. Avec une équipe multidisciplinaire (psychologues, psychiatres, bénévoles du Ministère de la Santé Publique-Minsanté), il fallait faire comprendre aux uns et aux autres que la maladie mentale n’est pas de la sorcellerie.
La deuxième étape qui a suivi au mois d’août s’est appesantie sur la prise en charge d’une centaine de malades, à la satisfaction de tous ceux qui ont été sensibilisés. Nous sommes contents des résultats parce que même au niveau des familles, la prise en charge communautaire a été enseignée et les familles peuvent appeler le numéro vert (1510) pour recevoir des informations utiles. Nous faisons le plaidoyer pour qu’il y ait plus d’investissement sur la santé mentale et que nous puissions réellement nous déployer. La Santé Mentale est une thématique complexe ; c’est pour cette raison que, dans la mouvance de la campagne, des journalistes ont été mis à niveau afin de pouvoir bien relayer l’information auprès des différents publics.