Deux mois après, la circulaire du Minfof contre la circulation frauduleuse du bois porte des fruits, alors que les acteurs de la filière broient du noir à cause de la ressource rare et de la coûteuse Tva.
Par Adrienne Engono Moussang
Près de deux mois après la décision du ministre des Forêts et de la Faune (Minfof) Jules Doret Ndongo, interdisant l’exploitation illégale du bois au Cameroun, l’on peut donner un bilan. « Depuis deux mois nous sommes pratiquement à 200m3 de bois débité saisis. Il y a des grumes que nous avons aussi saisies certains de ces produits n’avaient pas de documents, d’autres avaient des documents falsifiés, des contentieux ont été ouverts ces contentieux sont en cours », renseigne le délégué régional des Forêts et de la Faune (Delfof) du Centre, Jackson Betty Amouko.

Avant d’en arriver là, et bien avant la circulaire de Jules Doret Ndongo, le Delfof a fait un constat: « j’ai fait une tournée de prise de contact dans le Mfoundi et je suis arrivé au constat qu’on retrouvait sur les marchés beaucoup de bois d’origine illégale ». A en croire des sources au Minfof, cette illégalité ne se limite pas à la région du Centre. Même l’Etat est impliqué dans cette pratique. Une étude réalisée par la Centre pour la recherche forestière internationale (Cifor) dans le cadre du projet « Essor des demandes publiques et privées en sciages d’origine légale au Cameroun » lancé en avril 2018 révèle que 13.000m 3 de bois de sciage acquis illégalement sont utilisés dans les marchés publics.
Comme dans les marchés publics, les menuiseries, essentiellement installées en zones urbaines, consomment du bois d’origine illégale. D’ailleurs, le syndicat des transformateurs du bois attirait déjà l’attention à ce sujet lorsqu’il faisait remarquer que près de 70% de leur matière première était issue du circuit illégal d’approvisionnement. Et la même étude du Cifor rapporte que les marchés urbains du Cameroun consomment 83.000m3 de bois de sciage chaque année. Des chiffres appelés à augmenter au vu de la poussée démographique et de la croissance de la demande. Et si des mesures efficaces ne sont pas prises, la forêt camerounaise va considérablement se vider.
La circulaire
Autant de réalités qui ont amené le ministre des Forêts et de la Faune à signer le 13 juin 2023, une circulaire invitant les délégués régionaux et départementaux, ainsi que les chefs des postes de contrôle forestiers et de chasse à accentuer les activités de surveillance et à intercepter tous les produits forestiers illicitement récoltés en circulation sur le territoire national.
A l’instar des autres mesures prises par le gouvernement dont la loi forestière de 1994 (bien que qualifiée d’un peu déphasée), le Système informatisé de gestion de l’information de deuxième génération (Sigif2), qui est la matérialisation de l’Accord de partenariat volontaire (Apv/Flegt), cette note du Minfof signée à l’issue d’un atelier de concertation avec ses collaborateurs vise à accentuer la gestion durable de la forêt afin de contribuer efficacement à la lutte contre le réchauffement climatique, en conformité aux engagements pris dans ce sens. Mais, le texte semble avoir plonger la filière bois dans l’incertitude totale.
Lundi 07 août. Nous sommes au dépôt de bois de Melen, Montée-Parc, à Yaoundé dans la région du Centre. « Le bois est rare », lance un commerçant. Même si en quantité réduite, on retrouve du bois blanc (Ayous, Fraquet, Mpong, Quinine, Aloa entre autres); bois dur (Iroko, Bilingua, Padoue, Pachi, Moabi, Bibolo, Soucier, Landa, Lannedré, Zingana, Bibinga, etc.). Les dimensions varient. Le bois de Coffrage, latte, Ayous, frappeur, par exemple mesurent 5m et les bois durs sont de 2m20 pour la plupart. Ceux-ci proviennent essentiellement des localités des régions du Centre, Sud et Est.
Dans ce parc, des véhicules entrent et sortent, les principaux clients sont des techniciens en bâtiment, des menuisiers, des ingénieurs… « Je suis venu avec mon technicien, me renseigner sur les prix des planches de coffrage pour ne pas être surpris le moment venu, car les travaux seront lancés bientôt », confie Ernest Ngoa. Après le tour de plusieurs étales, il s’arrête finalement chez Jean Bernard Ombolo. Sur le comptoir de ce vendeur, les prix varient en fonction du type de bois. L’Ayous est vendu à 4500, le Fraquet à 4300 et la latte à 1400 FCFA. Les prix des bois durs, encore appelés bois de menuiserie quant à eux oscillent entre 5 500 et 30 000 FCFA. A côté on retrouve des chevrons et des bambous de Chine qui servent au soutènement des dalles et coûtent 800 FCFA l’unité.
Si Ernest Ngoa vit mal cette situation, Jean Bernard Ombolo encore plus. Depuis un mois et demi environ, sa recette journalière chute. « Le ministre des Forêts à interdit l’exploitation du bois. Depuis lors, les activités sont à la traîne. Avant tous ces compartiments étaient fournis. Mais depuis lors, on a du mal à se ravitailler », raconte-t-il. « Nous n’avons pas de véritables raisons de cette interdiction. On a seulement cru entendre que cela provoque le changement climatique », poursuit-il.
Les menuisiers, principaux clients, n’en sont pas épargnés. Eux qui utilisent le bois au quotidien pour la fabrication des meuble set autres. En plus de la quantité de bois qui n’est pas suffisante au ravitaillement et sa qualité n’est pas bonne. « Nous avons un défaut de bois sec et peinons à satisfaire la clientèle. Non seulement l’argent pose problème, mais on ne trouve même pas ce qu’on cherche. J’ai déjà perdu des commandes à cause d’un manque de bois », confie un menuisier basé dans une banlieue de Yaoundé.
« … Il y a le bois industriel qui est livré par les scieries. Mais ce sont des déchets. Donc cela ne représente pas grand-chose parce que la qualité n’y est pas », renchéritColette Mirabelle Makam Epse Takougang, représentante du marché intérieur du bois de Simbock, dans le sixième arrondissement de Yaoundé. Elle dit ne pas savoir exactement ce qui est à l’origine de la sécheresse observée dans le secteur et fait une doléance à l’endroit des pouvoirs publics. « Le gouvernement doit nous aider, nous accompagner. Les parcs à bois emploient plusieurs personnes. Il y a beaucoup de jeunes qui sont ici en attente des clients pour porter, ou pour décharger le bois, afin d’avoir quelque chose par jour et subvenir aux besoins de leurs familles. Je ne sais pas si avec cette rareté de bois, ils vont survivre », plaide-t-elle.

A cause du renforcement des contrôles prescrits par le ministre des Forêts et de la Faune dans sa note du 13 juin, des bois coupés et même débités sont bloqués en forêt ; ils risquent de s’abîmer à cause des fortes pluies qui sont de retour depuis quelques jours. Il faut simplement que les propriétaires de ces cargaisons se mettent en règle pour récupérer leurs produits, signe un responsable au Minfof.
La taxe sur la valeur ajoutée (Tva)
Des intervenants de la filière se plaignent des coûts élevés des procédures et de leur durée souvent longue. « Nous avons des difficultés à avoir le bois sur le marché à cause d’une réglementation discriminatoire et défavorable aux nationaux, à accéder au financement auprès des banques à cause des différés très courts qui sont d’un mois, des taux d’intérêt qui oscillent entre 18 et 30%. Les garanties bancaires sont difficilement mobilisables et qui représentent 2 à 3 fois le montant que vous sollicitez et l’importation des meubles qui ne nous permettent pas de nous positionner sur les marchés », déroule Pamphile Ntanga, secrétaire général adjoint (Sga) de la Fédération camerounaise des associations et des professionnels de la seconde transformation du bois (Fecaprobois). Cette association est parmi celles qui ont entrepris des démarches auprès des institutions camerounaises pour la révision à la baisse de la taxe sur la valeur ajoutée (Tva) à l’origine des perturbations dans la filière. « Déjà en 2019, nous avons fait un plaidoyer sans succès à l’Assemblée nationale pour demander aux députés de légiférer pour faire réduire la TVA des industriels sur une quantité de bois qui sera mis sur le marché local. Malheureusement rien. Le 24 Août, nous aurons une réunion de concertation entre nous et pour identifier les portes de sortie de cette crise », indique le Sga de la Fecaprobois.

Preuve que la solution ne viendra pas du seul ministère des Forêts et de la Faune ; même si c’est cette administration, qui, de par ses prérogatives, a signé la circulaire de la « mort ». Et justement, le ministre des Finances a déjà apporté la réponse à la préoccupation des acteurs de la filière bois sur la réduction de la Tva à 5% pour le marché local du bois. Selon le directeur de la promotion et de la transformation (Dpt) des produits forestiers, dans une interview accordée à la Cameroon Radio Television (CRTV), le ministère des Finances a indiqué qu’il faut d’abord que le bois figure parmi les produits devant bénéficier de la Tva à taux réduit, conformément aux directives de la Communauté économique et monétaire d’Afrique centrale (Cemac). Laquelle communauté a été saisie et dont on attend la réaction. Pour l’heure, la Tva est calculée à 19,25% ; très élevée pour que les industriels acceptent de ravitailler les artisans, surtout qu’ici, ils courent le risque de faire face à la concurrence déloyale dans ce milieu où le bois d’origine illégale semble avoir fait son lit.
Deux essences, cordia et tofa, avec les mêmes caractéristiques que les 20 essences qui subissent une surexploitation, sont en cours de valorisation par la Dpt. Mais il faut se mettre en règle pour opérer désormais dans le secteur. Quelle que soit l’essence
Une loi dépassée
Le délégué régional des Forêts et de la Faine du Centre soutient que la loi régissant l’exploitation forestière a prévu un cadre formel pour ravitailler le secteur artisanal. « Il y a d’abord l’attribution des forêts communautaires aux populations locales, ces forêts doivent approvisionner le marché local il y a aussi les rebus des scieries qui restent après que le bois destiné à l’exploitation a été prélevé. Et les vendeurs de bois peuvent aller signer des contrats avec eux, d’ailleurs, nous avons mené un travail qui a permis de constater effectivement que beaucoup peuvent signer des contrats avec des scieries. Ce sont eux qui ravitaillent en rebus ils vendent sur le marché normalement sans problème », précise Jackson Betty Amouko. « Nous avons, ajoute-t-il, la récupération des rébus dans des titres d’exploitation ; ça veut dire que quelqu’un à une forêt et un partenaire qui signe un contrat avec lui récupère le bois qu’il abandonne là-bas pour faire des lattes et d’autres planches pour ravitailler le marché local uniquement. On a le marché intérieur du bois (Mib) qui est comme une boutique avec des sites physiques où l’on achète votre bois et obtient un bordereau pour circuler librement Il y a des Mibs à Nkomo ,Simbock et après Nkolbisson. Ces sites physiques sont créés avec une forte implication des communes qui délivrent les autorisations. »

Sauf que : « Aucune mesure prise par l’Etat ne nous aide pas vraiment. Ce qu’il y a lieu de faire est de réécrire la loi forestière qui tient compte des intérêts nationaux et qui permettra enfin aux camerounais d’avoir le bois et aux opérateurs du secteur forestier d’exercer tranquillement leurs activités », décrie Pamphile Tanga
« Le ministère des Forêts a initié la révision de la loi je crois que le dossier a été transmis au niveau de la Primature, qui, je crois, l’a transmis à la Présidence ; attendons simplement que cette nouvelle loi qui a pris en compte un certain nombre de paramètres que justement on avait constaté qu’avec l’évolution du temps était nécessaire de revoir. Donc cette loi est là à présent on attend juste que ce soit transmis à l’assemblée nationale », rassure le Delfof du Centre.
Le Cameroun dispose de 22 millions d’hectares de forêts, soit près de 46% de la superficie totale du pays, dont 26 000 hectares sont classés forêts de plantation, selon les chiffres du Minfof en 2018. En termes d’exploitation, sur les quelque 300 espèces disponibles, une vingtaine est plus exploitée dont : Ayous, Sapelli, Tali, Azobé, Okan, Padouk, Kossipo, Fraké, Dabéma. L’activité représente 4% du produit intérieur brut, selon l’Institut national de la statistique.