Agroforestérie :: Voyage dans l’univers de la cacaoculture au féminin

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A Bokito dans le département du Mbam et Inoubou, grâce au miracle du petit crédit, des femmes transforment la savane en verger et se mettent ainsi à l’abri de la pauvreté et des caprices du changement climatique.

Contrairement à d’autres villages, Kedia, situé à deux heures de route de Yaoundé, n’a pas été béni par la nature ; ce village de près de deux mille âmes n’a pas de forêt. Ce qui fait que là-bas, jusqu’à une certaine période, l’on ne pouvait pas parler de cacao culture.

 Mais les choses ont changé grâce à une nouvelle vision de quelques femmes de cette contrée qui essaient de renverser la tendance.
Car, quoiqu’on dise, le cacao est resté un produit qui permet, en une seule vente, d’empocher une somme consistante d’argent; d’où la ruée des populations vers sa culture. Ce privilège, les hommes de Kedia le retrouvent petit à petit grâce à leurs épouses. « Nous avons commencé à créer des vergers pour nos maris sur nos parcelles sur lesquelles nous ne plantions que les produits vivriers parce que ceux-ci n’ont pas de forêt comme ceux d’ailleurs », indique Salomé Kenembegne, cultivatrice à Kedia. « Je cultive le maïs, l’arachide, le manioc, la patate douce, le plantain, etc. J’ai compris qu’il faut planter les arbres fruitiers et j’ai pu avoir un verger de citronniers, orangers, mandariniers. Je me suis aussi lancée dans la cacao-culture. J’ai commencé à récolter mon citron, mon cacao, etc. J’ai déjà converti un hectare et demi de savane. Je plante déjà aussi le cacaoyer sur une autre surface », poursuit-elle.

Salomé Kenembegne, cultivatrice à Kedia

. Rencontrée le 28 février 2022 à Kedia, quelques semaines après la vente de son cacao, elle confie : « Il y a quelques jours, j’ai vendu trois sacs de fèves de cacao pour un poids total de 320 kilogrammes. Je me suis retrouvée avec 284.000FCFA, après les retenues effectuées pour le paiement des différents engagements de la coopérative. J’ai payé les dettes contractées pour les rentrées scolaires des enfants, il m’est encore resté de l’argent pour mes besoins ».

Sa camarade, Abanadia Imossi, épouse Oloumou, n’en dit pas mieux : « Avant, une famille pouvait se retrouver avec deux seaux de maïs, comme récolte pour toute une année de travail acharné aux champs, même lorsque vous comptiez sur la tontine, au moment où vous bénéficiez, tout le monde ne cotise pas. Vous devez envoyer les enfants à l’école, prendre soin de la famille. Ce n’était pas facile. » La vie au village après avoir séjourné à Yaoundé et à Douala il y a une trentaine d’années n’était pas loin de l’enfer pour elle et même pour les autres qu’elle a rejointes à Kedia.

La présence des vergers leur apporte plus que le simple argent. « Ils nous aident à rafraichir l’atmosphère »

Un enfer qui aurait dû se renforcer à cause des caprices du climat. « Il fait de plus en plus chaud dans notre village. Les gens nous disent que ce sont les changements climatiques. Avant, on n’avait pas cette chaleur comme aujourd’hui. Nous ressentons ces changements climatiques également dans le rendement agricole. Il y a des années où nous ne récoltons pas assez de maïs, de graines de courge ou d’arachide parce que la croissance de ces plantes est souvent stoppée par l’arrêt brutale des précipitations. Même le manioc, le plantain, le taro et le macabo produisent moins », témoignent les deux dames.

La présence des vergers leur apporte plus que le simple argent. « Ils nous aident à rafraichir l’atmosphère. Nous pouvons nous abriter sous leurs ombrages en journée. Parfois, nous laissons les fenêtres ouvertes la nuit pour être ventilés par ces arbres lorsque le vent souffle », explique Mme Abanadia Imossi. Les femmes de ce village s’adonnent aussi à l’élevage. L’étude de la vulnérabilité du Cameroun de 2021 mentionne que la chaleur est un facteur contraignant pour les populations et un déclencheur amplificateur des maladies qui exposent plus de 3 000 000 d’âmes (Etude de la vulnérabilité du Cameroun, 2021).

Abanadia Imossi, épouse Oloumou

 « Nous avons des porcs, des chèvres. Même comme nous ne les vendons pas à leur véritable valeur, l’activité nous met à l’abri des imprévus. Lorsqu’il y a un cas de maladie, par exemple, on peut rapidement liquider une bête et agir », explique Mme Kenembegne. Ces femmes appréciées de leurs conjoints suscitent de l’admiration dans d’autres villages qui n’hésitent pas à copier leur expérience. « Les femmes de Kédia sont en train de parler aux nôtres et même aux hommes qui pensent que la création des vergers n’est possible qu’en forêt. Elles titillent les hommes avec leur cacao », s’extasie Serge Balonga, agriculteur à Yangben village situé à une dizaine de kilomètres de Kedia.

L’autonomisation de ces femmes a été possible par le crédit auquel elles ont accès auprès de la Caisse Villageoise Autogérée de Kedia. « Nous avons compris qu’il faut aider le planteur en général et les femmes en particulier. On octroie des crédits qui sont remboursés à la date fixée par la bénéficiaire elle-même », précise Abanadia Imossi, caissière. L’initiative de crédit est portée par les femmes qui sont ; « regroupées au sein de la Femme Active de Kédia (FAK). »

L’accès au crédit, encore davantage au crédit à un faible taux d’intérêts et avec moins de tracasseries, et singulièrement pour les femmes, dans le monde rural est un vrai cauchemar

 Une aubaine ; « Nous témoignons tous sur le bienfait du crédit ». Cet exemple ne saurait être isolé au Cameroun. Le Projet d’Amélioration des Filières Agricoles pour le Développement (PADFA) est jusqu’ici dédié à certaines zones du pays. « Le PADFA est un projet qui relève du ministère de l’Agriculture et du Développement Rural (MINADER) et financé par le Fonds International de Développement Agricole (FIDA). Il a pour but de contribuer à la réduction de la pauvreté, et à l’amélioration de la sécurité alimentaire et nutritionnelle des populations à travers l’accroissement durable des revenus et la résilience des exploitations agricoles familiales productrices de riz et d’oignon dans les régions du Nord, de l’Extrême-Nord, de l’Ouest et du Nord-Ouest. Il vise spécifiquement à autonomiser les femmes et les jeunes vulnérables aux événements liés au climat et à d’autres chocs », apprend-on. Une enquête journalistique publiée par le quotidien « Le Jour » et « Le Financier d’Afrique » intitulée : « Les femmes lésées par les politiques agricoles au Cameroun » réalisée par trois journalistes camerounais en décembre 2021 révèle que sur plus de 100 projets et programmes agricoles développés au Cameroun entre 2010 et 2020, 52 ont ignoré les femmes.

 Bien plus l’accès au crédit, encore davantage au crédit à un faible taux d’intérêts et avec moins de tracasseries, et singulièrement pour les femmes, dans le monde rural est un vrai cauchemar. Et du coup ; « Avec la possibilité d’emprunter de l’argent que nous avons actuellement, nous rêvons. Je suis en train de relancer une cacaoyère après que la première ait été consumée par les feux de brousse qui sont une menace réelle ici. La condition pour avoir droit au prêt est d’appartenir à un groupe parce que c’est lui qui est ton aval. Nous nous retrouvons malheureusement avec des membres qui empruntent de l’argent et ne remboursent pas. Le groupe paie. Nous nous réunissons les mardis.  On ne donne pas le crédit pour les obsèques, il se limite aux cas de maladies, de commerce, des champs et plantation », développe Abanadia Imossi.

8ème Forum Régional Africain sur le Développement Durable tenu du 3 au 5 mars 2022.

Si elles arrivent à surmonter cette difficulté d’accès au petit financement, les feux de brousse et le manque d’encadrement sont des cailloux dans leurs chaussures. Dame Imossi a assisté, impuissante, à la consumation de sa plantation par des flammes des chasseurs de rats. Heureusement, elle a contracté à nouveau un crédit de 200.000FCFA pour se relancer. L’autre problème : « Nous ne comprenons pas pourquoi nous sommes abandonnées à nous-mêmes pourtant nous voyons à la télévision des autorités qui remettent des dons à nos homologues des autres localités. Nous avons aussi besoin de houes, de machettes, de brouettes et de l’encadrement des spécialistes. C’est nous-mêmes qui achetons les intrants et les utilisons seules sans aucune assistance technique », sonne Salomé Kenembegne. Nous avons voulu en savoir plus sur cette « démission » des autorités à l’heure de la promotion de l’agriculture de deuxième génération ; notre volonté s’est heurtée au silence.

Il faut néanmoins rappeler que le Cameroun a pris l’engagement pour l’attente des Objectifs du Développement Durable (ODD) à l’horizon 2030 en vue de la lutte contre l’extrême pauvreté dans le monde. Dans ce registre s’inscrit l’ODD N° 5 dont l’atteinte exige : « l’Égalité des genres et autonomisation des femmes et des filles ». C’est d’ailleurs dans ce cadre que cette question a été portée sur la table des échanges à Kigali au Rwanda lors du 8ème Forum Régional Africain sur le Développement Durable tenu du 3 au 5 mars 2022. Les participants ont réfléchi sur : « l’Égalité des genres et autonomisation des femmes et des filles en Afrique progrès, défis, opportunités et actions prioritaires clés pour accélérer la mise en œuvre dudit Objectif de Développement Durable » ; un sous-thème du Thème du forum qui était : « L’innovation africaine dans le contexte d’une relance verte à la sortie de la crise internationale du COVID-19 ».